Sculpture Martigny Bourg Vincent Fournier
Sculpture Martigny Bourg Vincent Fournier
Sculpture Martigny Bourg Vincent Fournier
Sculpture Martigny Bourg Vincent Fournier
Sculpture Martigny Bourg Vincent Fournier

Stigmates de l’invisible, Martigny-Bourg 2018

 

 

Le chanoine, l’artiste et l’architecte

Proche du lieu où il avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin un tombeau neuf dans lequel personne n’avait été mis. Jean 19: 40-42

 

Pour fêter le cinquantenaire de l’église Saint-Michel de Martigny-Bourg et pour saluer la mémoire d’une figure d’exception, le chanoine Pont qui en fut le prêtre durant 25 ans, on revisite la belle église enclose. Ce bâtiment de style brutaliste fondé sur la rencontre du matériau, de la forme et de la fonction, remarquablement intégré au territoire et parfaitement dédié à se vocation, est l’oeuvre de l’architecte Jean-Paul Darbellay. Vincent Fournier, lauréat du concours artistique pour la réalisation d’une oeuvre intégrée, propose  stigmates de l’invisible, un projet nourri par une lecture attentive des oeuvres du chanoine-écrivain dont l’esprit de méditation touche l’artiste; tous deux sont des hommes de foi et lisent le monde à la lumière de cette lampe brûlante. Une phrase relevée dans un livre de Gabriel Pont, la présence d’un jardin de silence, une pierre particulièrement parlante et la réflexion de Vincent Fournier s’oriente dès lors vers la mise en oeuvre de cette installation, aussi dépouillée que chargée d’intensité. *

 

Très accueillante, l’église Saint-Michel invite aussi au recueillement; une clôture faite pour protéger sans étouffer, une cour ample, la nef ouverte comme un manteau maternel dans sa pente naturelle vers l’autel puis au fond le petit jardin clos, en prise directe avec la célébration. Dans l’atmosphère méditative de cet espace unique, la pierre de Vincent Fournier est installée. 

 

C’est un bloc brut de quartzite et de calcaire vieux de 245 millions d’années, scié dans sa tranche et ouvert en deux selon la technique dite à livre ouvert, les pans placés côte à côte comme les deux côtés d’un livre, une symétrie parfaite dans son imperfection. Trois tonnes et cinq mètres de long, toute en puissance minérale, la sculpture repose à l’horizontale sur des traverses de chêne brûlé et huilé, flottant ainsi à 10 cm du sol. Sa présence a entrainé des aménagements de l’espace dans le sens du vide, qualité et condition d’une profonde méditation spirituelle. Vincent Fournier a redéfini la vocation silencieuse du jardin, mettant en évidence la croix de bois plantée à l’ombre d’un pin depuis toujours, clarifiant l’espace autour pour faire chanter le vide et renvoyer ainsi au caractère essentiel de l’architecture. La pierre est placée le long du petit mur ouest, limite extrême de la parcelle, de manière à aligner le joint de dilatation du béton du mur à l’axe central de la pierre. Horizontalité et verticalité se retrouvent dans une continuité. Ici on évoque la mort et la résurrection, pierre d’angle des méditations de Gabriel Pont qui écrivait: La mort ne nous lance point contre un mur de béton. Elle nous projette bien au-delà, dans l’amour miséricordieux. **

 

La séparation en deux blocs a révélé au coeur de la pierre des traces que l’artiste relève comme des signes indicateurs, des bribes d’images déroulant des récits multiples dont il souligne la présence et explore les enseignements. La pierre, au centre des transformations symboliques, se donne tour à tour comme l’image d’un gisant, un tombeau vide non loin de la grande croix, un livre ouvert, la Bible. Tout à fait dépliée, la pierre devient légère comme l’étoffe d’un linceul, l’image même du suaire de Turin, une relique à la fois sainte et picturale que Vincent Fournier ne cesse d’interroger dans ses travaux de peintre. Des variations sur ce thème, déploiement, plis et replis du linge sacré, lignes de pinceau clair, évanescence de l’empreinte, reviennent interroger le peintre au coeur même de son ouvrage de traceur de signes.

 

Un éclat pointu au coeur de la pierre se lit X V, renvoyant à la quinzième station du Christ, la Résurrection. Là où il y a des fissures, le fer a produit un écoulement rougeâtre. Par l’observation et l’écoute, Vincent Fournier relève les indices qui conduisent plus loin son récit. Il réalise des frottage au charbon sur papier de certaines parties de la pierre, donnant à voir le rendu pictural et vivant de son corps, les coups infligés par la pelle mécanique, les traits concentriques de sciage qui évoquent les marques de la flagellation, jusqu’à l’ultime point de rupture au bout, un éclatement dans l’extrême tension. Ce dernier point de résistance interroge l’homme spirituel.

 

Le portrait gravé du chanoine Gabriel Pont tourné dans un geste bienveillant renvoie à la mémoire d’un homme de foi intense et vivante, auquel stigmates de l’invisible est dédié. Vincent Fournier, artiste engagé dans le témoignage de sa pratique spirituelle et qui a pour cela adopté un vocabulaire très dépouillé, tendu vers l’abstraction et lisible à travers un filtre symboliste, répond au même niveau de profondeur à cette figure d’écrivain. Il réanime le chanoine, re dirigeant l’attention vers son oeuvre, sa méditation, son rapport fasciné à la mort, sa foi en la Résurrection. Le plasticien honore aussi  l’objet de l’architecte Jean-Paul Darbellay par une compréhension fine de ses intentions – clôture, silence, qualité d’espace. Mais c’est en contribuant à aiguiser la perception du message christique que Vincent Fournier accomplit au plus près le sens de son oeuvre. Marie-Fabienne Aymon

 

*  Le titre de l’installation stigmates de l’invisible est une citation extraite de Elle m’a séduit, Gabriel Pont,1974, éditions Château Ravire. * *  L’âme des saisons, Gabriel Pont, 1980, éditions Château Ravire