Galerie Grande Fontaine, Sion

 

Cette exposition réunit quelques nouveaux thèmes et les nuages d’inconnaissance.

 

Le nuage d’inconnaissance

Dès les années 90, je commençais à faire des dessins très simples composés d’une forme rectangulaire noire peinte dans l’angle supérieur du papier. Ces compositions me fascinaient et avaient un impact sur le regardant : Malgré leur petite taille, ces œuvres ouvrent un espace infini. L’œil se concentre d’abord sur l’élément construit, mais celui-ci fait apparaitre le vide de la feuille. Ce vide n’est pas ennuyeux, il est vivant et habité. On perçoit des lignes de composition au crayon, des taches, des ombres et des traces de manipulation. Une dizaine d’années plus tard je rencontrais le père Paul-de-la-Croix, capucin de la communauté de Sion, ermite durant 29 ans sous la Dixence. Il devint mon père spirituel. Quand je lui demandai une lecture spirituelle, il me répondit : « le nuage d’inconnaissance ». Cette lecture d’un mystique anonyme du moyen-âge enseigne en quoi consiste l’activité d’un contemplatif : « …mets entre toi et Dieu un nuage et frappe sur ce nuage avec un mot, celui que tu veux… ». Cette lecture révéla en mon cœur l’intention profonde des dessins que j’avais commencé une dizaine d’années plus tôt. Depuis lors, ces œuvres sur toile, sur papier ou sur bois reçoivent un titre emprunté à la littérature mystique : le nuage d’inconnaissance.

 

Les nouveaux thèmes

 

Scala claustralium, l’échelle des cloîtrés ou l’échelle du paradis

L’an dernier, j’étais invité à la chartreuse d’Ittingen, en Thurgovie, pour réaliser une œuvre in situ.

185 contremarches reliaient la terre au ciel à travers les vignes. Ce travail est sans doute la réalisation la plus heureuse de ma vie. Je pus rester deux mois dans un ermitage chartreux et m’occuper à la réalisation de cette œuvre conséquente. Dans le silence et la solitude de l’ermitage, pendant le confinement qui en renforçait la simplicité et la quiétude, j’étais complètement absorbé par ce travail dont l’intention était de relier la terre au ciel, intuition générale de tout mon travail artistique.

Lors de ce temps de retraite, le pasteur Thomas Bachofner me proposa une lecture : l’échelle du paradis, de Guigues le chartreux, (+ 1191). Ce petit livre d’une vingtaine de pages nous éclaire sur l’activité des cloîtrés :

4 échelons élèvent l’âme jusqu’au ciel ; lectio, meditatio, oratio, contemplatio.

J’intégrais les 4 échelons de Guigues dans l’œuvre in situ, symbolisant la lecture par la couleur rouge, la méditation par le jaune, la prière par le vert et la contemplation par le bleu. Dès lors, ce nouveau thème de l’échelle du paradis, du latin scala claustralium, inspire mes créations.

 

Les paysages mystiques ou paysages intérieurs

Christine m’invita, presque de force, à parcourir une exposition à Paris, au musée d’Orsay, en 2017 :

Paysages mystiques. Je ne voulais pas m’y rendre car il y avait beaucoup de monde, de longues files d’attente…

J’en sorti complètement bouleversé. Il y avait là, sous mes yeux, de très nombreuses peintures figuratives de tous les pays. Ces peintres avaient en commun l’amour de la Beauté, et la nature suffisait à l’expression de leur art. L’été de cette même année nous parcourions les alpes et je fus frappé par la beauté des paysages valaisans, et plus particulièrement par les lacs de montagne : silence, paix, reflet du ciel…

Je n’ai jamais pensé commencer un travail sur ce thème, et voilà qu’en ce printemps je me mis à peindre des paysages inspirés par ces deux expériences vivifiantes.

Paysage intérieur est le titre de ces images figuratives car, au-delà de la beauté naturelle qui les a inspirées, elles font surtout voir la compréhension spirituelle qui m’habite : le monde est le reflet du ciel, la vie un reflet de l’éternité et, entre ces deux mondes, juste une horizontale…

 

Veronica

Alors que je commençais l’accrochage, une intuition germa : suspendre une œuvre dont le titre est veronica dans le dernier espace de la galerie. Je n’avais pas prévu d’inclure ce thème ici, mais cela s’imposa. J’allai chercher l’objet en question, un bois recouvert de cire et d’huile et suspendis cette pièce de bois brute. L’accrochage s’est développé à partir de cette œuvre. Le titre veronica signifie vraie icône. Elle veut rappeler l’intervention de sainte Véronique sur le chemin du Calvaire, essuyant le visage du Christ qui s’imprima sur le tissu. Veronica fait allusion également au suaire de Turin et résonne en mon cœur avec ce chant appris dans la jeunesse : « Je cherche son image tout au fond de vos cœurs…»

 

En conclusion

Les compositions des paysages figuratifs sont les mêmes que celles des œuvres abstraites ou symboliques. Elles s’appuient sur les axes de symétrie principaux : la verticale et l’horizontale, les diagonales.

Dans la pratique, je travaille sur toutes sortes de matériaux – toile, papier, bois, carton – les manipulant, les déchirant, les brûlant, les tournant dans tous les sens pour en faire jaillir les saintes étincelles. *

*Baal-Shem-Tov

 

 

Vincent Fournier, novembre 2021